Qualités et fraudes alimentaires dans les miels: la responsabilités des organisateurs de concours…
Qualité et fraudes alimentaires dans les miels – la responsabilité des organisateurs de concours…La participation de plus en plus nombreuse des apiculteurs aux différents concours de miels qui sont organisés çà et là dans l’hexagone illustre toute l’importance de ces concours. Leur intérêt est à la fois collectif et individuel. Collectif, parce qu’un concours est toujours un excellent moyen de faire parler de cet extraordinaire produit qu’est le miel. Individuel parce qu’un miel primé est toujours un miel qui obtient de ce fait une plus-value commerciale importante. Il sera souvent commercialisé avec une étiquette mentionnant la médaille obtenue ce qui pour le consommateur sera toujours perçu comme une garantie de qualité. Pourtant, l’expérience montre que pour des raisons diverses, quelquefois, et c’est là que le bât blesse, cette qualité n’est pas toujours au rendez-vous et le miel magnifique médaillé recèle quelques vices cachés. Cela reste heureusement tout à fait exceptionnel, mais une question se pose alors. Quelles seraient les responsabilités juridiques des organisateurs du concours face à une plainte sur un miel non conforme et qui serait commercialisé avec une médaille du concours. La question est complexe. La réponse n’est certainement pas simple et serait probablement liée à la nature du vice caché et à ses conséquences sur le consommateur. Je ne suis pas juriste et je me garderai bien d’y répondre. Mais, je crois qu’il est souhaitable que la question soit posée car il est certain que si les organisateurs d’un concours ne sont pas directement responsables d’une malfaçon voire d’une fraude sur un miel, ils apportent au moins une caution morale sur la qualité d’un produit qui aura reçu une médaille. Illustrons la problématique à partir quelques cas dont certains ont été rencontrés ces dix dernières années.
• Miel d’ « acacia » de Hongrie présenté à un concours départemental pour un miel d’ « acacia » français :
Le concours est organisé par un syndicat apicole départemental. Il ne concerne que les miels produits par les apiculteurs du même syndicat. Il comprend différente catégorie dont l’une est celle des miels d’ « acacia ». Comme souvent, le concours comprend deux étapes. Les miels sont tout d’abord analysés sur quelques critères puis subissent une séance de dégustation. Pour des raisons de coût, les organisateurs limitent généralement les analyses physico-chimiques au minimum. Ici, elle comprend deux critères permettant de vérifier la qualité du produit à savoir le taux d’humidité et la teneur en Hydroxy Méthyl Furfural (HMF). Elle est complétée par une analyse pollinique et la mesure de la conductivité électrique pour confirmer ou infirmer l’appellation florale. C’est lors de l’analyse pollinique que la fraude a été détectée. Initialement cette analyse n’avait pour seul but que de confirmer l’appellation « acacia », les organisateurs n’ayant pas imaginé qu’un miel étranger puisse être présenté à leur concours. La présence de pollen de Loranthus europæus associé à une flore généralement rencontrée dans les miels d’ « acacia » de Hongrie ne laissait aucun doute sur l’origine réelle du miel. Naturellement les organisateurs ont été avertis et le miel n’a pas participé au concours. Ici, les opérations de contrôle préliminaires au concours lui-même ont rempli leur rôle. Il s’agit d’une fraude par non-conformité. Du côté des tribunaux, le caractère intentionnel est généralement retenu pour ce type de fraude. Cette fraude à la non-conformité sur une origine géographique vaut quelle que soit l’échelle géographique considérée (continent, pays, région voire commune). Si, de plus, le miel se prévalait d’une AOC, la fraude aurait alors un caractère mixte et porterait à la fois sur l’origine géographique et la spécificité.
• Miel d’ « acacia » français de 2003 présenté à un concours départemental pour un miel d’ « acacia » français de 2004 :
L’opération consistait ici à obtenir une médaille sur un lot de miel d’ « acacia » âgé d’un an. Dans la région concernée, la récolte de miel d’ « acacia » avait été médiocre et les quelques spécimens de miels d’ « acacia » présentés au concours, cette année-là, n’étaient pas les plus beaux représentatifs de cette catégorie. Au contraire, en 2003, les miels d’ « acacia » étaient magnifiques et le miel avait donc alors toutes les chances d’obtenir d’une médaille d’or puisqu’il surpassait tous les autres. C’est une trop grande différence avec les autres miels associée à une teneur en HMF conforme au règlement du concours (maxi 15 mg/Kg) mais à cette limite maximale alors que tous les autres miels avaient une teneur beaucoup plus basse qui a mis « la puce à l’oreille ». L’étude des activités enzymatiques, amylase mais surtout cette de l’invertase a confirmé les soupçons. Ce type de fraude est toujours assez difficile à prouver. Il s’agit toujours d’une fraude par non-conformité. La non-conformité porte sur l’origine chronologique du produit. Rare dans les miels, elle est plus fréquente dans les milieux vinicoles (fraude sur le millésime). Là, également, le caractère intentionnel est le plus souvent retenu.
De manière plus générale, les fraudes par non-conformité portent également sur tous les miels qui seraient commercialisés avec une fausse indication d’origine botanique. C’est une des fraudes les plus courantes dans le domaine du miel. Dans la réalité, elle n’est que pas toujours intentionnelle. Certains apiculteurs méconnaissent mal leur produit et attribuent quelquefois des appellations botaniques un peu à la légère voire fantaisistes. Dans les concours, le but des analyses est, entre autres, de vérifier ces appellations botaniques avec un éventuel reclassement dans une catégorie plus conforme et, en pratique, lorsque le concours est bien précédé d’analyses, la fraude n’a jamais lieu.
• Fraudes par adultération :
Il s’agit, pour les miels, d’un ajout de sucres exogènes dans un miel. Elle peut être d’origine volontaire ou accidentelle suite au passage de sirop de nourrissement dans le miel. Selon les produits utilisés et l’importance de l’ajout, elle est plus ou moins facile à démontrer. Les cas les plus difficiles demandent des investigations très poussées avec traitement statistique et informatique des données (analyse en composantes principales). Du point de vue analytique, il faudrait au minimum étudier le profil des sucres des miels. Pour des raisons de coût, lors des concours, ces analyses ne sont presque jamais pratiquées. À ma connaissance, en France, seuls trois règlements de concours le prévoient : celui du concours général agricole, celui des miels d’Alsace et celui des miels de Lorraine. Et encore, pas toujours sur tous les miels, car cette analyse a surtout pour but de vérifier la conformité de certaines appellations botaniques comme celles des « acacia », « châtaignier », « lavande » ou « sapin »…
• Fraudes par contamination de substances étrangères :
Entre dans cette catégorie, la contamination des miels par des antibiotiques. Seuls deux concours prévoient partiellement ces recherches : celui de Savoie – Haute Savoie et celui de Lorraine. Dans tous les autres cas, le problème semble occulté. Or, le Décret n°2003-587 du 30 juin 2003 pris pour l’application de l’article L. 214-1 du code de la consommation en ce qui concerne le miel précise dans son annexe II : « Le miel, lorsqu’il est commercialisé comme tel ou quand il est utilisé dans un produit quelconque destiné à la consommation humaine, ne doit avoir fait l’objet d’aucune addition de produits alimentaires, y compris les additifs alimentaires, ni d’aucune addition autre que du miel. » La présence d’antibiotique est interdite dans les miels d’autant plus qu’aucun antibiotique ne possède d’AMM* pour l’apiculture pas plus qu’il ne possède de LMR* pour le miel. Des discussions sont bien en cours au niveau européen pour proposer une LMR à 25µg/Kg (ppb) pour l’oxytétracycline mais pour le moment, il n’y en a pas. La présence d’antibiotiques dans les miels est d’autant plus grave que, pour le consommateur, le miel a une image d’un produit naturel, sain et que certain le considère même comme un « alicament ». La présence d’antibiotique dans des miels médaillés à un concours pose nettement le problème de la « caution morale » apportée au produit par les organisateurs du concours. On peut considérer qu’il y a tromperie sur la qualité du produit avec toutes les conséquences juridiques que cela pourrait comporter. Seules des recherches spécifiques permettent de mettre en évidence des contaminants dans les miels qui ne sont bien évidemment pas décelables à la dégustation. Un miel peut avoir d’excellentes qualités sensorielles et contenir de très hauts niveaux d’antibiotiques. Selon la directive 96/23/CE, des contrôles de résidus sont réalisés chaque année sur les denrées d’origine animale. Pour la France et la filière apicole, ces contrôles sont planifiés par la DGAL* sur des miels prélevés par les DDSV* et analysés par le laboratoire de l’AFSSA* Sophia Antipolis. De notre côté, nous effectuons, à notre propre initiative des contrôles inopinés à la fois sur des miels provenant directement des apiculteurs et de la grande distribution. Pour notre part, les recherches portent uniquement sur des antibiotiques dont la nature peut être variable selon les origines géographiques : tétracyclines, streptomycine, sulfamides mais également chloramphénicol, nitrofuranes et plus récemment tylosine. Quand il y en a, les teneurs en antibiotiques les plus élevées se retrouvent presque toujours dans les miels commercialisés directement par les apiculteurs. Cela s’explique par un effet de dilution, les miels commercialisés dans la grande distribution étant presque toujours des mélanges. Dans le cadre de nos recherches, nous avons, en 2008, évalué la présence de tétracyclines dans les miels présentés au concours général agricole 2008. Chaque apiculteur ayant participé au concours a vu un de ses miels analysés. Le miel récolté le plus précocement a été sélectionné en priorité. 72 miels ont été analysés, la méthode ELISA a donné 6 résultats supérieur ou égal à 25 ppb (dont un à la limite). 3 avaient des teneurs pouvant être considérées comme très élevées (respectivement 645, 1217, 345 ppb). Ces résultats positifs ont été confirmés par l’AFSSA (Technique CL/SM/SM) avec des taux inférieurs en raison de la différence des techniques. Parmi les miels ayant les teneurs les plus élevées, certains avaient obtenu des médailles dont une médaille d’or !!! Les autres miels des apiculteurs concernés ont alors également fait l’objet de recherche. Ils étaient également le plus souvent positifs. Les apiculteurs concernés ont reçu une lettre d’information leur rappelant la réglementation en matière d’antibiotique et les informant de la nécessité de retirer ces produits du marché. Cette question est très grave car l’utilisation d’antibiotiques illégalement par certains jette un discrédit sur toute une filière. En 2009 nous avons renouvelé nos contrôles et nous avons recherché la présence de tétracyclines dans tous les miels primés. Est-ce l’effet de l’étude précédente mais nous avons constaté un grand progrès puisque sur les 48 miels médaillés lors du concours 2009, seuls 2 contenaient des traces à la limite de la LMR de 25 ppb susceptible d’être appliqué au miel (24 et 25 ppb). Une garantie de qualité pour le consommateur cette année… Cette question pose nettement le problème de la présence potentielle de polluants dans certains miels primés lors des concours quelle que soit leur importance. Les organisateurs ne sont, en général, pas opposés l’existence de contrôles. C’est la question du prix de ces recherches qui freine. Des solutions ont été trouvées pour certains concours. D’une part, les règlements des concours doivent au moins rappeler la réglementation sur l’usage de certains produits et prévoir la possibilité de les rechercher. Par ailleurs, des contrôles peuvent être effectués soit de manière aléatoire soit, comme cela se passe dans les milieux sportifs pour le dopage, sur les miels primés le choix de la ou des molécules recherchées pouvant varier…