12 Juin 2011

Miels de Chine – un scandale

Rédigé par cetam 10 commentaires

Les « anchois des tropiques »…

…Tu savais très bien que ces anchois, si tu ne les avais pas vendus, c’est nous qui les aurions mangés. Oui, ici, sur cette table, les anchois des Tropiques, nous les aurions vus tous les jours. Jusqu’à la fin du baril, ou jusqu’aux obsèques tropicales de la famille…

 « Le Schpountz » de Marcel Pagnol 

PSDans « Le Schpountz »  de Marcel Pagnol, Casimir, le neveu de l’oncle Baptiste invente une spécialité nouvelle, « les anchois de Tropiques », dénomination sous laquelle il vend des anchois moisis. Ainsi les anchois moisis, impropres à la consommation, s’habillent d’une nouvelle dénomination pour devenir présentables. Aujourd’hui, avec certains miels toujours étiquetés « hors Union européenne » mais presque toujours importés de Chine et vendus à bas prix, la comédie qui n’est à l’origine qu’une fable devient une réalité. Un véritable scandale qui détruit l’image du bon miel et nuit à toute l’apiculture française. D’une part, ces miels toujours partiellement fermentés sont importés et vendus à des prix défiants toute concurrence, mais d’autres parts ceux qui les achètent n’auront sans doute plus envie d’en acheter.

La situation avant 2002 

La photographie ci-dessus nous illustre bien la nature des miels chinois importés dans l’Union européenne avant 2002. Les pollens les plus rencontrés sont ceux du colza associés à des vesces, du sarrasin. Les autres pollens les plus fréquents sont ceux du sésame, quelquefois du théier…

Cette image montre également beaucoup de grains d’amidon ainsi que des anneaux scléreux provenant de la canne à sucre, signes évidents d’une adultération avec des sirops de différentes origines (amidon de céréales + sirop de canne). Les structures à aspect granulaire sont des levures mortes. C’est un miel fermenté qui a été pasteurisé. Enfin, les particules noires sont le plus souvent des particules terreuses qui peuvent avoir différentes origines. L’image ne montre pas tout. En fait, ces miels étaient également très chargés en ions fer, lesquels pouvaient alors être très facilement mis en évidence par leur réaction avec des tanins (polyphénols) qui les chélatent et forment alors un précipité noir. La réaction est presque immédiate en sucrant du thé (qui contient beaucoup de tanins) avec ces miels. D’ambré, le thé devient alors, en quelques minutes, noir comme du café. Malgré toutes ces anomalies, ces miels avaient généralement leur paramètre physico-chimiques légaux parfaitement conformes ce qui fait qu’ils ont été importés jusqu’en 2002, date à laquelle ils ont été interdits parce que, en plus, ils contenaient des quantités plus ou moins importantes de chloramphénicol. Mais, depuis 2004, l’importation des miels de Chine est à nouveau autorisée.

La situation en 2011

L’interdiction des miels chinois a déplacé les marchés vers l’Amérique du Sud (Mexique, Brésil, Argentine), mais, au moins depuis 2009, les miels chinois reprennent petit à petit leur place sur les marchés européens. Le consommateur l’ignore parce que sur les pots figurent généralement la mention d’origine « UE et hors UE », appellation passe-partout qui cache la véritable origine du produit. L’analyse pollinique permet de retrouver l’origine chinoise dans beaucoup de cas, surtout lorsqu’il s’agit des miels « premier prix » de la grande distribution. La situation s’est à nouveau fortement dégradée et ces miels « premier prix » sont souvent des miels qui ont fermenté voire quelquefois adultérés.

La photographie ci-dessus la résume assez bien. Plus de cellules de canne à sucre et les grains d’amidon deviennent rares, mais ces éléments sont faciles à éliminer par simple filtration, on ne retrouve plus que des tapis de levures mortes, tuées par pasteurisation. La réaction aux polyphénols est moins prononcée, mais persiste toujours dans beaucoup de cas. Pour l’ensemble des miels c’est surtout la fermentation qui pose problème bien que certains miels soient, entre autres, très pauvres en turanose ce qui les rends suspects d’adultération.

Pour évaluer la qualité de ces miels du seul point de vue de la fermentation, il est possible de comptabiliser le nombre de levures éventuellement par un système automatisé comme le montre la photo ci-dessus. L’ordinateur repère les levures, les marques de rouge et les comptabilise. On peut également procéder au dosage de la teneur en glycérol de ces miels.

Qualité de miels polyfloraux commerciaux

Pour avoir une vision objective de la situation, au cours des dernières semaines, nous avons évalué la qualité de différents miels polyfloraux commerciaux par dosage de leur teneur en glycérol (également appelé glycérine). Rappelons que le glycérol est un sous-produit de la fermentation des levures osmophiles présentes dans les miels. Sa haute température de fusion (≈ 290°C)(1) empêche qu’il soit éliminé lors des éventuels traitements thermiques des miels quels qu’ils soient. Des travaux ultérieurs, particulièrement allemands, confirmés par nos propres mesures montrent que les miels fraîchement récoltés ont toujours une teneur en glycérol inférieure à 50 mg/Kg. Durant leur vieillissement, cette teneur peut augmenter. Il n’y a pas de normes légales pour la teneur en glycérol dans les miels mais le chiffre de 300 mg/Kg est souvent retenu comme le seuil au-delà duquel un miel est franchement fermenté et ne devrait plus être commercialisé hors usages industriels.

L’étude a porté sur 23 miels polyfloraux d’origines diverses achetés dans différentes enseignes de la grande distribution. 4 miels français âgés d’environs 8 mois, conservés à la température ambiante sans précautions particulières et pris au hasard dans les miels reçus pour analyses en 2010, tous issus directement d’apiculteurs ont servi de témoins. 27 miels en tout ont donc été analysés. L’origine des miels commerciaux était variable. Les pots portaient les mentions suivantes (selon les miels) : France, Espagne, Italie, Bulgarie, Union européenne, UE et hors UE… Des analyses polliniques ont été effectuées sur chaque échantillon pour vérifier ou préciser les origines géographiques. Les miels hors Union européenne ont alors été séparés en 2 lots, ceux à provenance totalement ou très majoritairement chinoise et ceux provenant essentiellement d’Amérique du Sud (le plus souvent Brésil, Mexique ou Argentine).

Le dosage du glycérol a été effectué par dosage spectrophotométrique à 340 nm en utilisant les coffrets enzymatiques  « Glycérol » R-BIOPHARM.

Les résultats sont donnés dans les tableaux ci-après :

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les résultats des 4 miels provenant d’apiculteurs, miels qui n’ont subi aucun traitement thermique susceptible de détruire les levures sont conformes à ce que l’on peut attendre pour ce type de miels et sont les plus bas.

Les miels de la grande distribution qu’ils proviennent de France ou exclusivement de l’UE ont des teneurs un peu plus élevées mais tout à fait correctes. Il n’y a pas de différences significatives entre les résultats des deux lots.

Les miels d’Amérique latine ont une teneur significativement plus élevée, mais qui reste acceptable.

Par contre, c’est une nouvelle fois du côté des miels chinois que le bât blesse. Sur les 5 miels analysés, 3 seraient hors normes si un taux légal maximum de glycérol de 300 mg/Kg était appliqué. Ce résultat est d’ailleurs d’autant plus grave que les 3 miels qui avaient plus de 300 mg/Kg étaient ceux qui étaient totalement « chinois », les 2 autres ne l’étaient que majoritairement, le complément étant espagnol ou sud-américain. C’est une situation qui est inadmissible. D’autant plus que des soupçons d’adultération pèsent également sur certains lots(2). Par ailleurs, on sait très bien aujourd’hui, maquiller l’origine géographique de certains miels par ultrafiltration.

La photographie ci-dessus montre une diatomée du genre Campylodiscus trouvée dans un miel d’oranger espagnol pourtant riche en pollen. Une adjonction de miel ultrafiltré d’une autre origine explique cette présence. Malheureusement les voies des miels sont quelquefois aussi impénétrables que celles du Seigneur.

S’agissant des miels fermentés pour éviter de nous faire avaler « des anchois des tropiques », il serait indispensable de revoir la législation sur les miels avec un teneur légale maximale en glycérol de 300 mg/Kg et une mention de l’origine géographique obligatoire plus précise que « hors Union européenne », mention passe-partout qui ne signifie malheureusement rien. Le consommateur est en droit de connaître l’origine précise des miels qu’il achète !!!

Paul SCHWEITZER

Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole

© CETAM 2011

(1)   En fait, le glycérol se décompose à partir de 171°C soit en dessous de son point d’ébullition, mais aucun miel ne peut être porté à cette température sans être détruit. La corrélation entre la teneur en glycérol des miels et leur teneur en éthanol n’est pas toujours parfaite car le glycérol a une très faible pression de vapeur saturante, inférieure à 0,0000158 mm Hg alors qu’elle est de 44 mm Hg pour l’éthanol.

(2)  Des études sont également en cours sur l’ensemble des mêmes miels pour rechercher des adultérations. Elles feront l’objet d’une autre publication.


10 avis

  1. Fourcade says:

    Bonjour et merci pour cet article. Pourriez vous préciser quels sont les risques de consommer un miel fermenté qui a été pasteurisé?
    Autre question : comment expliquez vous la présence des ions fer?

    • cetam says:

      Bonjour,
      Il n’y a pas de risque réel, mais un miel fermenté, ce n’est plus du miel. Quand un consommateur achète un produit, il doit avoir une garantie sur la qualité.
      Tous les miels contiennent des ions fer de manière naturelle. Les miels sont tous acides. Ils réagissent donc avec le fer métallique des récipients ferreux non alimentaire. Cela se traduit par une forte augmentation des ions fer dans les miels.

  2. Christine LE GALL says:

    Merci pour cet article très clair; il ne nous (nous apiculteurs, collectivement) reste plus qu’à agir pour faire évoluer la réglementation !

  3. sophie says:

    Les miels de Chine ont ils la meme teneur en protéines et en vitamines que les miels de petits apiculteurs?

    • cetam says:

      D’une manière générale, les miels quelles que soient leurs origines contiennent très peu de vitamines et très peu de protéines. L’alimentation des abeilles est basée sur 2 types d’aliments: les miels qui apportent essentiellement des glucides et le pollen qui lui contient les autres nutriments nécessaires: vitamines, protéines, lipides et sels minéraux. Sauf quelques exceptions comme le miel de bruyère callune qui contient 1 à 2% de protéine, cette proportion est infime chez les miels et provient essentiellement du pollen que ceux-ci contiennent et des enzymes de l’abeille. La remarque est la même pour les vitamines. Il n’y a pas d’études spécifiques sur les miels chinois. Tant qu’ils sont naturels, il n’y a pas de raisons, à priori, pour qu’ils soient différents des autres miels et s’ils sont adultérés ce ne sont plus légalement des miels.

  4. Bernard says:

    Quelle serait, d’après vous, la cause (conditionnement ?) de la présence d’ions Fe que vous indiquez avoir trouvés dans un (ou des ?) miels d’origine « UE et non UE » ? (en plus, avec une telle « appellation », comment peut-on être sûr que le miel vient de Chine ?)
    Subsidiairement, y-a-t-il au niveau français (ou européen) des « velléités » à faire évoluer cette « appellation » ? Les divers syndicats apicoles sont étrangement silencieux sur le sujet… alors que ce serait dans l’intérêt du consommateur !

    • cetam says:

      La réponse est simple. La présence d’ions fer s’explique par le conditionnement dans des récipients ferreux non alimentaires. Le miel qui est acide attaque le fer métallique avec la prodution d’ions fer qui se retrouvent dans le miel.
      L’analyse pollinique permet très facilement d’identifier les miels chinois qui possèdent une image pollinique caractéristique, l’association la plus fréquente étant « colza, vesce – sésame – théier – cotonnier » + certains pollens non identifiés mais toujours présents dans ces miels.
      Actuellement ces miels qui rentrent sur la marché européen ont généralement tous les critères légaux de l’appellation « miel » conformes. C’est donc la législation sur l’appellation « miel » qu’il faut changer… cela ne peut se faire qu’au niveau européen. Il n’est pas certain que de telles modifications soient le souhait de tous et particulièrement de certains importateur!!!!

  5. mr Gadoux says:

    Bonjour,
    Merci pour ces précisions d’importance, que je vais m’empresser de faire suivre.
    Mes clients ne sont pas dupes, mais beaucoup de gens se laissent convaincre par le prix…

  6. Phrenia says:

    Moi je n’achète que du miel bio…peut-on faire confiance à tous les miels bio? Enfin, au moins c’est la moindre des choses que l’on doit aux abeilles : on leur prend leur miel, autant ne pas participer à l’utilisation de pesticides qui les tuent!!!!

    • cetam says:

      Bonjour,

      L’apiculture « bio » garantit de bonnes pratiques apicoles. Par contre, nul n’est maître de ces abeilles et les abeilles sont libres d’aller butiner dans l’environnement de leur ruche. Le résultat dépend donc en partie de la qualité de l’environnement où sont installés les colonies.

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